Dans l’univers complexe de l’enseignement spécialisé, la notion de charge cognitive permet de mieux comprendre pourquoi certains élèves apprennent plus difficilement que d’autres, et surtout comment les aider à progresser. Le chercheur André Tricot, professeur en psychologie, propose une grille de lecture et des pistes concrètes pour faire face aux difficultés scolaires, notamment dans le cadre de la différenciation pédagogique.
Qui est André Tricot ?
Spécialiste en psychologie cognitive, André Tricot travaille sur les mécanismes de l’apprentissage, la conception de supports pédagogiques et la gestion de l’information. Il a coécrit plusieurs ouvrages de référence, notamment La charge cognitive : théorie et applications (2007) et Les contraintes spécifiques des apprentissages scolaires (2017). Ses travaux sont une source précieuse pour les enseignants, formateurs et éducateurs.
Comprendre les types de connaissances
Tricot distingue deux types de savoirs :
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Les connaissances primaires : acquises naturellement, sans enseignement (ex : langage oral, reconnaissance des visages).
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Les connaissances secondaires : nécessitent un enseignement explicite, des efforts et de la motivation (ex : lecture, écriture, mathématiques).
Exemple concret : Un élève apprend naturellement à parler en interagissant avec son entourage (primaire), mais il aura besoin d’un enseignement structuré pour maîtriser la grammaire ou résoudre une équation (secondaire).
L’école, un lieu d’apprentissage non adaptatif
L’école n’est pas un environnement « naturel » pour apprendre. Les apprentissages y sont coûteux : ils demandent du temps, des efforts, de la motivation, et une capacité à mobiliser des connaissances abstraites, souvent sans utilité immédiate perçue.
Charge cognitive : un équilibre à trouver
La théorie de la charge cognitive distingue trois types de charges mentales :
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Essentielle : nécessaire à la compréhension du contenu.
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Intrinsèque : liée à la complexité de la tâche.
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Extrinsèque : générée par une mauvaise présentation ou des éléments inutiles.
Exemple concret : Un exercice de géométrie mal mis en page (figure éloignée du texte explicatif) surcharge inutilement l’élève, surtout s’il est en difficulté.
Motivation, attention et sentiment d’efficacité
Les élèves apprennent mieux s’ils pensent pouvoir réussir (auto-efficacité), s’ils comprennent à quoi sert la tâche et si leur attention est bien dirigée.
Exemple concret : Dans une dictée évaluée, les élèves faibles font plus d’erreurs car la pression augmente la charge attentionnelle, au détriment du traitement linguistique.
Avoir une difficulté, c’est…
… ne pas parvenir à mobiliser la bonne connaissance au bon moment, être en surcharge cognitive, mal interpréter la tâche, ou manquer d’automatismes. La difficulté est souvent liée à des malentendus cognitifs ou sociaux.
Des leviers concrets pour aider les élèves
André Tricot propose plusieurs effets pédagogiques pour mieux concevoir les apprentissages. Voici les principaux avec des exemples pratiques :
1. Effet de non-spécification du but
Donner un objectif large plutôt qu’un seul résultat attendu.
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Exemple : “Calcule autant d’angles que possible” plutôt que “Calcule l’angle DBE”.
2. Effet du problème résolu
Présenter des exemples déjà résolus avant de faire résoudre un exercice.
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Exemple : Montrer une démonstration géométrique complète, puis proposer un problème similaire.
3. Effet du problème à compléter
Donner une solution partielle à compléter.
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Exemple : Fournir les premières étapes d’un raisonnement et demander à l’élève de le terminer.
4. Effet d’attention partagée
Regrouper les textes et les images pour éviter les allers-retours mentaux.
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Exemple : Placer un schéma et son explication côte à côte.
5. Effet de modalité
Alterner les modalités (oral, visuel) pour alléger la charge mentale.
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Exemple : Expliquer oralement une image complexe plutôt que d’ajouter du texte.
6. Effet de redondance
Éviter les répétitions inutiles.
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Exemple : Ne pas lire à voix haute un texte déjà affiché à l’écran.
7. Effet d’interactivité entre éléments
Présenter ensemble les éléments qui doivent être mis en lien.
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Exemple : Grouper données et questions dans un problème.
8. Effet d’isolement
Présenter une information complexe en petites étapes pour les élèves en difficulté.
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Exemple : Découper une consigne longue en plusieurs phrases simples.
9. Effet de variété des exemples
Utiliser plusieurs exemples pour identifier ce qui est pertinent.
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Exemple : Montrer différents types de textes narratifs pour comprendre leur structure.
10. Effet de disparition progressive du guidage
Passer du guidage à l’autonomie.
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Exemple : D’abord montrer la méthode, puis laisser les élèves l’appliquer seuls.
11. Effet d’imagination
Favoriser la visualisation mentale.
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Exemple : Demander de “se fabriquer un film dans sa tête” lors de la lecture d’un récit.
12. Effet d’auto-explication
Encourager les élèves à verbaliser leurs raisonnements.
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Exemple : “Explique comment tu as trouvé cette réponse.”
13. Effet d’information transitoire
Adapter les supports en fonction de la mémoire de travail.
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Exemple : Proposer des vidéos courtes ou faire des pauses régulières.
14. Effet de mémoire collective
Utiliser le travail en groupe pour partager la charge cognitive.
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Exemple : Une tâche complexe est plus accessible si chaque élève gère une partie.
15. Effet de renversement dû à l’expertise
Adapter les consignes selon le niveau : plus guidées pour les novices, plus ouvertes pour les experts.
Pour une différenciation efficace, sans abaisser les exigences
Différencier ne signifie pas simplifier à outrance, mais adapter :
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En guidant davantage les plus fragiles
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En stimulant l’autonomie des plus avancés
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En valorisant les efforts et non seulement les résultats
Exemple concret : Le Collège Rostand de Valence d’Agen a défini les tâches clés de chaque discipline avec des procédures explicites, ce qui aide les élèves à comprendre ce qu’on attend d’eux.