Cette série d’article est issue Mémoire de master Parcours : EPABEP Éducation et pédagogie adaptées aux besoins éducatifs particulier rédigé par Jonathan ANDRÉ, T4 en 2020, et troisième année en SEGPA. Il faut ainsi lire cette série dans son contexte, celui d’un jeune enseignant qui est parachuté en SEGPA et qui a fait le choix d’y rester par le passage du CAPPEI en candidat libre dès sa première année.
La perception de l’engagement par l’élève est assez surprenante et agit en complément des remarques de l’enseignant que nous verrons par la suite. Les élèves mettent en avant plusieurs éléments : leurs états pré-cours, la relation avec les pairs, leur position physique dans la classe et la complexité de la tâche.
De nombreux élèves lors des expérimentations ont mis en avant le fait que le passif d’avant cours joue énormément, ils estiment que c’est important de savoir ce qui s’est passé en dehors de la classe d’autant plus si ce n’est pas réglé (dans le cas d’un conflit par exemple ou d’une injustice à leurs yeux). Ils reconnaissent aussi en partie que malgré que cela les perturbe, le moment de la classe n’est pas le lieu où tout doit être réglé même si l’enseignant est leur professeur principal. Dans tous les cas, la prise en compte du passif (réglé ou non) leur permet de se canaliser et d’être prêts à se mettre au travail.
Ainsi comme vu dans la partie « 2.2.4 Les émotions au cœur de l’apprentissage », celles-ci sont déterminantes pour les élèves et ils arrivent à le dire assez facilement. Elles sont essentielles et se doivent d’être positives pour s’engager plus facilement dans les apprentissages.
Paroles d’élèves
« Monsieur, Bilal, il m’embête »
« Bilal tu es au travail j’espère ? »
« Non, il m’insulte » Moussy, 31 janvier 2020
La relation avec les pairs est donc cruciale aussi pour des élèves en pleine adolescence et leur demande un gros effort pour passer au-dessus dans le cadre de conflits ou d’injustice. Parfois un simple jeu de regard peut faire dysfonctionner l’engagement de l’élève (« tu ne me regardes pas ok ? », ainsi certains élèves reconnaissent que travailler dos à la classe leur permet une mise au travail continuelle sans distraction conflictuelle.
Pré-adolescent en plein développement, ces élèves vivent et ressent des émotions complexes, émotions difficiles à gérer et en constante évolution. Or, dans un cadre d’apprentissage, il devient donc nécessaire de gérer ou se faire accompagner à la gestion de leurs sentiments, cela demande donc de la part de l’enseignant des ajustements continuels et pour les élèves, un apprentissage autour de la gestion de ces émotions. Pour y répondre en partie, le programme PRODAS (PROgramme de Développement Affectif et Social[1]) est mis en place depuis le début de l’année (et depuis plusieurs années au collège Condorcet) avec toutes les classes de 6ème et 5ème. Comme précisé sur le site https://prodas-cerclemagique.org/, le programme PRODAS « peut se définir comme une méthodologie éducative et préventive de développement de la personne, basée sur l’expression des ressentis. Il est conçu pour aider les personnes à se comprendre et se respecter elles-mêmes pour ensuite comprendre et respecter les autres. Il vise à favoriser l’autonomisation et la responsabilisation ».
Grâce à cette méthodologie, les élèves apprenne au fur et à mesure de l’année à prendre en compte leurs émotions et leur permets d’apprendre à exprimer leurs émotions, à se découvrir, et surtout à s’accepter les uns les autres afin de favoriser des attitudes responsables et constructives pour soi et les autres. Ces acquis progressifs permettent au groupe classe de favoriser leur engagement et donc leur apprentissage avec une prise en compte importante de leurs émotions dans le cadre des apprentissages.
Paroles d’élèves
« Pourquoi on n’écoute pas nos musiques à nous ? »
Saïd, février 2020
Autre biais qui est largement reconnu par l’ensemble des élèves est l’impact de la classe flexible sur leur engagement, la plupart des élèves reconnaissent que pouvoir se placer où ils le souhaitent est une plus-value pour leur engagement et que cela facilite leur travail en ayant le choix de se mettre seul, à l’écart ou encore en binôme ou au sein d’un ilot avec des pairs. Cela appuie les travaux de Ranjana MEHTA (1.3. Une SEGPA au sein du collège… et une classe flexible) qui a pu mettre en avant que bouger améliore les capacités d’apprentissage.
Pour certains, des places sont même ciblées pour « travailler mieux », ce sont souvent des places isolées ou une position très différente de leur passif scolaire.
Paroles d’élèves
« Je vais aller sur les canapés, je serais mieux »
Antonio, 31 janvier 2020
Dernier point, les élèves mettent en avant le plaisir à travailler sur des tâches qui sont adaptés à leur niveau et leur capacité à évoluer étapes par étapes au cours des plans de travail. Cette méthodologie participe grandement à la construction de leur efficacité personnelle (2.2.2 Se sentir efficace et impliqué), l’enseignant commence par la mise en place des compétences faciles et adaptées puis elles montent en difficulté au fur et à mesure de leur progression propre à chacun (et non du temps, bien que la dimension temporelle en mise en avant par l’enseignant).
Cette méthodologie permet d’appliquer la théorie de l’efficacité personnelle à ces élèves (maitrise, personnelle, apprentissage social, persuasion par autrui et état physiologique et émotionnel).
La succession progressive des travaux effectués en classe met l’élève face à des réussites successives, il ne peut que progresser (à son rythme) par le biais de son avancée dans le plan de travail et peut ressentir un sentiment d’efficacité face à celui-ci. De plus le fait de travailler sur le même support que ses camarades, il peut s’y confronter, s’interroger et se faire aider renforçant ainsi son sentiment d’efficacité personnel tout en y croyant de plus en plus. Cette mise en place permet à l’élève d’avoir une représentation mentale de son efficacité, alimenté par des réussites progressives et une confrontation au reste de la classe, il favorise les situations d’apprentissages réussis en classe.
Cette classe n’étant pas notée et seulement évaluée par compétences, les ceintures de couleurs sont les seuls éléments visuels d’évolution par rapport au reste de la classe. La montée en ceinture leur permet aussi de commencer toujours par un schéma de réussite scolaire avec une progression adaptée mais qui se ralentie au fur et à mesure de l’année par des tâches de plus en plus complexes. Cette complexité est vécue avec discernement par les élèves qui estiment que la normalité de ce parcours est juste car ils progressent, particulièrement au regard du chemin parcouru depuis le début de l’année, sentiment qui est souvent exprimé oralement par les élèves. L’avancée sur ces tâches expertes favorisent aussi la responsabilisation de plusieurs élèves-formateurs qui prennent d’eux-mêmes la liberté d’aider et accompagner d’autres élèves ayant des difficultés.
Les plans de travail s’articulant autour des mathématiques (Nombres, Calcul, Grandeurs et Mesures, Géométrie et Espace) et de la construction d’une culture artistique éclectique (arts du visuel, arts du son, arts de l’espace, arts du quotidien, arts du numérique, art du vivant…), ils permettent un grand nombre de combinaison de binôme pour chaque élève puissent y trouver à la fois sa place de tuteur et de tutoré.
Paroles d’élèves
« Viens, on fait le travail ensemble »
Amira à Naïla, 31 janvier 2020
[1] Le PRODAS, ou PROgramme de Développement Affectif et Social, est un programme québécois de prévention précoce qui vise à favoriser le bien-être et prévenir les violences en développant les compétences psychosociales. Testé à grande échelle dans les années 1980, ses objectifs font aujourd’hui partie intégrante de la pédagogie québécoise.