L’usage du jeu vidéo en France : Un constat

Dans le cadre de son étude annuelle[1] sur les français et le jeu vidéo, le SELL (syndicat des éditeurs de logiciels et de loisirs) a publié les données des usages des jeux vidéo en France.
Il apparait que plus de la moitié des français (36 millions de personnes) sont considérés comme joueurs hebdomadaires et plus de 70% comme des joueurs annuels.

Le contexte sanitaire oblige, on pourrait penser que c’est un fait exceptionnel, mais il s’agit seulement d’une augmentation de 3% par rapport à 2019. On peut constater aussi avec étonnement que l’âge moyen passe de 40 ans en 2019 à 39 ans en 2020. De plus la parité est relativement respectée (53 % d’hommes pour 47 % de femmes).

En regardant de plus près, on note que 60 % de ces joueurs ont entre 10 et 17 ans ce qui représente la quasi-totalité du public accueilli au collège (96% des 10-14 ans sont joueurs d’après l’étude) et au lycée (92% des 10-14 ans sont joueurs). Ces élèves sont donc très majoritairement des joueurs et ont une affinité avec les règles du jeu vidéo, elles font même parties de leur culture générationnelle d’autant que plus de la moitié du public jouent presque tous les jours.


[1] Les français et le jeu vidéo – Novembre 2020

Origine du jeu ?

Tout jeu est d’abord et avant tout une action libre, le jeu commandé n’est plus du jeu. Le jeu est superflu, à tout moment il peut être différé ou supprimé, il n’est pas imposé par une urgence physique et encore moins par un devoir moral, ce n’est pas une tâche, il s’accomplit en temps de loisirs. Le jeu n’est pas la vie courante ou la vie proprement dite. Il offre un prétexte à s’évader de celle-ci pour entrer dans une sphère provisoire d’activité à tendance propre. Tous les observateurs insistent sur le caractère gratuit de cette activité, élément indépendant de la vie courante, il se situe en dehors du mécanisme de satisfaction immédiate des besoins et des désirs. Bien mieux il interrompt ce mécanisme, il s’y insinue comme une action temporaire pourvu d’une fin en soi et s’accomplissant en vue de la satisfaction qui réside dans cet accomplissement même.

Johan Huizinga, Homo ludens, essai sur la fonction sociale du jeu, Gallimard, 1988 ; première publication en 1938 : Homo ludens, proeve eener bepaling van het spel-e

Homo ludens est une expression utilisée pour la première fois par Johan Huizinga dans son ouvrage Homo ludens, essai sur la fonction sociale du jeu. L’expression Homo ludens insiste sur l’importance de l’acte de jouer pour l’être humain. En effet, la thèse principale de Huizinga est que le jeu est consubstantiel à la culture.

Historiquement le jeu est né au travail pour combattre la « bête noire de l’ennui »

Ludification ou Gamification ?

La ludification, couramment désignée par l’anglicisme gamification, est l’utilisation des mécanismes du jeu dans d’autres domaines, en particulier des sites web, des situations d’apprentissage, des situations de travail ou des réseaux sociaux.

La ludification des apprentissages n’est pas si nouvelle, « La bosse de maths » qui introduit l’apprentissage par le jeu auprès d’un public de collégiens dans le domaine des mathématiques date de 1988 et a profité longuement au succès des jeux vidéo éducatifs type « Adibou » pendant les années 1990 et 2000 (plus d’une vingtaine de logiciels ludo-éducatifs édités par la société « Adi » en moins de 20 ans).

La théorie de la ludification dans l’éducation s’appuie sur le fait que les apprenants apprennent mieux lorsqu’ils s’amusent. Cet apprentissage est plus efficace lorsqu’ils ont des objectifs à atteindre, et plus particulièrement lorsque l’apprenant perçoit toujours cela comme un moment amusant.

La ludification de l’apprentissage implique l’utilisation d’éléments basés sur le jeu tels que l’acquisition de points, de trophées, la compétition entre pairs, le travail d’équipe, le tableau des scores pour stimuler l’engagement ou encore le passage de niveau. Cela permet à l’enseignant ou au formateur de créer des barrières ludiques pour ces apprenants.

Le concept peut s’appliquer aux matières scolaires, mais est également utilisé dans les applications et les cours en apprentissage autonome comme les MOOC, montrant que les effets de la gamification ne s’arrêtent pas lorsque l’apprenant est un adulte même dans une démarche volontaire.

Pourtant au fur et à mesure de mes recherches, j’ai pu déterminer une différence entre le terme ludification et gamification.

Ludification les apprentissages

L’utilisation de la ludification des apprentissages en classe peut présenter de nombreux avantages car elle permet aux élèves de s’approprier leurs progressions tout comme certains élèves le font avec un plan de travail.

De plus culturellement, l’échec fait partie du jeu vidéo et dans le cadre de la ludification, celui-ci n’est pas vécu négativement par l’apprenant. Il recommencera plus facilement car il a admis que l’échec fait parti du jeu il acceptera de faire des erreurs pour progresser.

La progression de l’élève devient visible, il voit et comprend ce qu’il a appris ou non-appris grâce aux indicateurs présent sur le support : points, niveaux, trophées… Cela alimente sa motivation intrinsèque pour continuer l’apprentissage et favorisera son engagement, son organisation et sa concentration. De plus son engagement devient continu dans le temps dans un objectif de gains de points supplémentaires, de récompenses, de passages de niveaux ou « graal » de l’enseignant : de quête du savoir.

Le concept de la ludification s’appuie sur le déclenchement des émotions telles que le bonheur, l’intrigue, l’excitation et l’accomplissement pour favoriser l’apprentissage.

Ludification et émotions

Hannah et António DAMÁSIO (travaillant tous les deux à l’Institut pour l’étude neurologique de l’émotion et de la créativité de l’université de la Californie méridionale depuis 2005), sont neuropsychologues et ont pu à travers de nombreuses expériences montré l’importance des émotions et des sentiments dans l’apprentissage. Selon eux, lors du déroulement des processus cognitifs liés à l’apprentissage, il y a des ajustements continuels entre les processus intellectuels et ceux de l’affect qui est une importance majeure pour l’apprentissage. Les affects (émotions et sentiments) classifient toutes les actions et les pensées en termes de récompenses et punitions.

Les recherches mettant en avant que les émotions positives sont un facteur important pour l’apprentissage et sont légion depuis déjà de nombreuses années contrairement à l’anxiété ou la violence qui peuvent démobiliser l’apprenant et peuvent susciter des stratégies d’évitement.

Mais cette gestion des émotions relève surtout d’une construction de la culture d’apprentissage de l’élève et de l’apprentissage à cette confrontation face à ses émotions.

Le parcours du joueur est déjà inscrit pour la plupart des élèves au collège (95%), ils ont déjà développé un passif avec le jeu vidéo et ses codes : faire progresser son avatar, se tromper, réessayer, chercher, demander de l’aide… la mise en place de la ludification dans le cadre scolaire leur semble donc assez aisé même pour un élève à besoins éducatifs particuliers qui peut s’appuyer sur une pratique connue à l’extérieur de l’école pour progresser dans le cadre de l’école.

L’élève à besoins éducatifs particulier et la ludification de ses apprentissages

Dans l’image populaire, on peut souvent voir un lien entre jeu vidéo et échec scolaire, le problème est plus compliqué que ce qu’il n’en parait et de nombreuses études ont pu démontrer l’inverse en fonction du type de jeux et de sa fréquence.

L’OCDE a pu lors d’une enquête[1] regroupant 65 pays en 2015, démontrer que jouer « modérément » permettait de décrocher de meilleurs résultats à l’école et plus particulièrement en mathématiques, en compréhension de l’écrit, en sciences et en résolution de problèmes.

D’après Francesco Avvisati, analyste à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), « Un usage modéré des jeux vidéo peut ainsi être utile notamment pour acquérir des compétences spatiales, d’orientation géographique, de lecture de carte et aider les élèves à obtenir de meilleurs résultats pour la résolution des problèmes en mathématiques ».

Ce qui peut occasionner l’échec scolaire reste donc un excès du temps passé sur ces jeux et non pas leur utilisation. Cet excès peut entrainer une concentration moindre à l’école, un temps réduit sur le travail scolaire à la maison, des troubles du sommeil et des troubles de la pugnacité si comme dans les jeux vidéo, l’élève n’est pas récompensé immédiatement de ses efforts.

L’élève à besoins éducatifs particuliers peut donc s’appuyer sur quelque chose qu’il maitrise ou du moins qu’il connait pour s’engager dans l’activité scolaire qui peut lui faire défaut ou dans laquelle il y présente des difficultés durables


[1] Etude OCDE : Connectés pour apprendre ? LES ÉLÈVES ET LES NOUVELLES TECHNOLOGIES

Un exemple en classe de SEGPA

Le site SEGPA.org mis en place lors du premier confinement met en place depuis les vacances d’avril 2021 la ludification des apprentissages. Chaque élève (pour les élèves de mon collège inscrit en SEGPA) peut progresser par des points à gagner et des niveaux au fur et à mesure de son avancée en mathématiques, arts, histoire et géographie (pour l’instant)

Le site représente un ensemble 32 cours, [total_quiz] quizz et [total_lesson] leçons qui sont accessibles aujourd’hui aprés connexion, cela représenté plus de 1000 cours démarrés et/ou terminés par les élèves en 4 ans.

La mise en place de la gamification a permis encore d’augmenter l’engagement des élèves dans l’inscription des cours mais surtout dans la réussite de ceux-ci. Certains élèves ont mêmes pu s’inscrire et faire des cours qui n’étaient pas fait pour eux, ainsi des élèves de 6ᵉ SEGPA ont terminés les cours de 5 SEGPA en géographie (non demandés par ‘enseignant) afin d’obtenir plus de points. Il sera intéressant de prendre en compte ceci l’année prochaine pour voir si cela induit un impact sur le long terme sur le principe des effets que peuvent apporter la classe inversée.

John PEWEB
Enseignant spécialisé en SEGPA